Vernissage le 12 janvier 2024, dès 18h
« J’ai interviewé Pierre Paulin à plusieurs reprises pour la revue la robe. Nos échanges m’ont confortés dans l’idée que son travail est un étroit réseau de liens qui relie son écriture aux objets qu’il produit. Son goût pour la poésie américaine n’y est probablement pas pour rien. Et pour cette exposition, je ne pourrai pas éviter de mentionner la connexion particulière que Pierre entretient avec l’œuvre du poète californien Jack Spicer. Le titre lui-même fait explicitement référence aux derniers mots prononcés par celui-ci avant de succomber à de longs excès d’alcool : « My vocabulary did this to me ». Dans plusieurs de ses prises de parole, Spicer a affirmé que pour écrire, il faut que le poète réceptionne la voix du poème ; et que pour ce faire, ses expériences, ses connaissances, ses sentiments ne sont que le mobilier lui permettant d’accueillir la voix qui lui dictera le poème – « mobilier » comparable à une table et aux chaises que l’on utilise pour recevoir quelqu’un chez soi. Je dirais que cette théorie fantasque a infusé dans le travail de Pierre, et pour cette raison, je crois qu’il faut lire l’ensemble des productions présentées ici comme le « mobilier » que l’artiste a constitué pour accompagner un travail d’écriture, comme s’il avait pris le poète au mot.
L’écriture n’est pas le seul lien qui fait de ces productions un ensemble, le cuir noir et les fermetures Éclair avec lesquels elles sont fabriquées sont aussi deux dénominateurs communs. Lors de notre dernière interview, publiée dans la robe no 5, nous avons longuement échangé à propos de la relation qui existe entre élevage animal, masculinité et histoire du sportswear. En général, la peau que l’on utilise pour la fabrication de vêtements est celle des exclus du cycle de la reproduction. On envisage rarement que la pratique de l’élevage pastoral, dans un but productif, exclue systématiquement tous les jeunes mâles, les difformes et les femelles infécondes. Et dans le cas des mâles, le seul moyen pour eux de survivre à cette rationalisation productive des sexes est d’être sélectionné pour leur sperme. Pour Pierre, le cuir incarne les restes des exclus de ce système productif, il est la part maudite de cette violence sélective qui existe aussi bien dans la culture de la virilité sportive que dans celle de l’élevage. C’est d’ailleurs là que sa théorie poétique se distingue de celle de Jack Spicer : l’une de ses idées, pas moins fantasque, fait des logos de marque un système d’insémination linguistique automatisée, révélant ainsi que les grandes firmes de sportswear ne font qu’amplifier un système de violence et d’exclusion fondé sur la primauté du sperme sur l’ovule.
En dehors de cette théorie poétique et culturelle, et pour revenir aux objets présentés dans l’exposition, il faut bien avoir en mémoire qu’ils ont été tour à tour utilisés par l’artiste pour illustrer un de ses textes, pour archiver des éléments importants les concernant, pour produire la bande-son d’un film, ou pour dater, comme dans le cas des bagues, des périodes historiques. Il existe, depuis longtemps, de nombreux cas où l’œuvre d’art se joue de l’usage de l’objet. Ici, rien de tout ça, la fonction est claire : ces formes gainées de cuir et de zip sont les reliquaires qui permettent à Pierre Paulin d’archiver et de borner une traversée littéraire et cinématographique faite d’interrogations poétiques sur la culture des masculinités et du sportswear« .
L.P. Magazine
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Cette exposition est soutenue par Alric Tannerie, France, et a reçu le soutien particulier de la résidence La Becque | Fondation Françoise Siegfried-Meier.
Le film a été réalisé avec le soutien du Fonds cantonal d’art contemporain, DCS, Genève.
La publication de la robe n° 5, la robe n° 6 et la robe n°7 ont été réalisées dans le cadre de l’aide à un projet artistique du CNAP, France.